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suivant ce que chacun d’eux a fait ou n’a pas fait pour elle, nous allons le voir à l’épreuve.

Il se mettra tout entier au service de la patrie. Il lui offrira le secours de cette intelligence lucide, qui va au cœur des problèmes, qui distingue aussitôt où gît la difficulté, et qui sait comment la résoudre. Ces années d’études, ce long effort, ces réflexions sur la recherche de la vérité, qui ont rendu sa pensée si souple et si forte, ne seront pas perdus pour la grande cause. Il aura tout de suite le sens des nécessités de l’heure, verra clairement ce que les autres ne faisaient que soupçonner, et agira.

Il s’applique d’abord à dissiper un malentendu créé par les Allemands. Belges et Français dénonçaient les procédés infâmes de l’adversaire, les civils fusillés, les femmes violées, tout le déchaînement de la barbarie. Mais les neutres, et les amis de l’Allemagne, pouvaient croire que nous exagérions pour le bénéfice de notre cause ; aussi bien ces forfaits dépassaient-ils l’imagination. Dès que leur échappa la victoire subite et totale qu’ils avaient escomptée, nos ennemis non seulement renièrent leurs doctrines de terreur, mais démentirent l’évidence. Mieux préparés que nous, ainsi qu’en toutes choses, à diriger l’opinion publique, ils déclarèrent que leurs atrocités n’étaient que l’invention de notre mauvaise foi. Ils provoquaient donc là un malentendu ; nous protestions ; nous poussions des cris de douleur ou de colère : or, c’était des preuves qu’on nous demandait.

Le premier mérite de Joseph Bédier fut de les fournir, irréfutables. Il lui suffit de prendre quelques-uns de ces carnets de route qu’on trouvait en abondance au début de la guerre sur les Allemands prisonniers, et que tous les soldats rédigeaient par ordre. Il en détacha les pages les plus significatives, celles qui contenaient les aveux les plus cyniques et les plus odieux : il n’y avait qu’à choisir. Il ne se contenta pas de les recopier, il les photographia. Il publia, en somme, des documents, avec le même soin qu’il eût mis à éditer une chronique du moyen âge ; et c’étaient des documents allemands, qui racontaient les crimes allemands, et qui émanaient des auteurs mêmes de ces crimes. Ainsi s’explique le succès mondial de sa première brochure, Les crimes allemands d’après les témoignages allemands ; et de celle qu’il écrivit en réplique aux démentis officiels