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venus d’outre-Rhin, Comment l’Allemagne essaie de justifier ses crimes. Par deux fois, il marqua les criminels au fer rouge, juste en temps opportun.

Que n’a-t-elle pas fait de chacun de nous, la guerre ? Quelles ressources n’a-t-elle pas révélées ? De M. Joseph Bédier, elle fait un adjoint au maire du Ve arrondissement, et puis encore, pendant cinq mois, un modeste employé volontaire au ministère des munitions. Elle le transforme même en auteur dramatique.

Car il faut agir sur l’opinion ; et celui qui réussit à faire passer un frisson sacré dans les salles de spectacle, exalte à sa manière ces forces morales qui soutiennent la nation. Ce détail est peu connu sans doute : au début de 1916, la Comédie-Française voulut passer en revue les chefs-d’œuvre de notre théâtre et de notre poésie lyrique, et, pour inaugurer ces représentations, elle eut l’heureuse idée de s’adresser à l’auteur des Légendes épiques, qui se mit à l’œuvre et tira de Guillaume d’Orange une pièce en un acte intitulée Chevalerie. Aymeri de Narbonne, dont tant de fils et de petits-fils sont morts en bataille, met à l’épreuve les trois derniers nés de son lignage qu’il voudrait retenir à la cour paisible et joyeuse du roi Gaifier, mais il s’est heurté au refus des jeunes gens qui viennent d’être armés chevaliers et font le serment de ne jamais reculer devant les Sarrazins de la longueur d’un arpent mesuré et de se montrer dignes de servir la douce France, France la libre, France l’honorée…

Cette pièce obtint à la représentation le plus vif succès. La noblesse des caractères, la pureté des sentiments, la passion innée du plus haut devoir, font passer dans les scènes si brèves de cette courte pièce un souffle épique. Et surtout, en entendant parler ces fils de la France chevaleresque, on songe invinciblement aux jeunes gens d’aujourd’hui. Ils ont offert leur vie avec la même vaillance ; et beaucoup sont morts, plutôt que de reculer d’un arpent mesuré. Ce rapprochement qui s’impose aux esprits transforme les jeux du théâtre en réalité tragique. Nous aussi, nous aurions crié pitié pour les plus jeunes de notre race ; nous aussi, nous sommes fiers de leur héroïsme, dans le temps même où nous les pleurons. Dans cette œuvre de circonstance, M. Joseph Bédier a fixé l’un des traits de la France éternelle.