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qu’elle a suivi n’est que tours, détours et retours. Entre Londres et le quai d’Orsay, il s’est produit les plus incroyables chasses-croisés. Lorsque M. Pichon dirigeait encore effectivement le ministère des Affaires étrangères, il avait rédigé, sur les conditions de paix avec la Turquie, un mémorandum remarquable, où il avait exposé les raisons pour lesquelles les Alliés devaient, suivant lui, tout en assurant, par une entente internationale, la complète liberté des détroits, maintenir le Sultan à Constantinople. Dans le dernier voyage que M. Clemenceau a fait à Londres, il a, d’abord, soutenu la même opinion avec une verve étincelante ; mais il s’est trouvé en présence de M. Lloyd George qui, en ce moment, semblait, au contraire, séduit par le projet d’expulsion. Dans une pensée de conciliation, M. Clemenceau s’est rallié à l’avis de son ardent et subtil contradicteur; et il a laissé à Londres, pour mettre l’accord au point, un des plus éminents fonctionnaires du quai d’Orsay, qui n’avait jamais dissimulé son irréductible hostilité au maintien des Turcs en Europe.

Quelques jours passèrent. M. Clemenceau, de retour en France, se convainquit des graves complications qui risquaient d’éclater en Asie Mineure et des froissements qui menaçaient de se produire entre Alliés, si le Sultan était obligé de traverser la mer de Marmara. Il est alors revenu, avec une vigueur rajeunie, aux conclusions de M. Pichon et il s’y est tenu avec fermeté. Sur les entrefaites, M. Lloyd George, ébranlé par les observations de quelques-uns de ses ministres et par des protestations hindoues, a lui-même renoncé à son premier dessein et, lorsqu’il a répondu devant la chambre des Communes à sir Donald Mac Lean, il a trouvé l’argumentation la plus brillante pour soutenir l’opinion que M. Clemenceau avait, d’abord, défendue contre lui et dont M. Clemenceau avait, ensuite, été tenté de lui faire galamment le sacrifice. Malheureusement les Turcs, qui ont des yeux et des oreilles, ont eu connaissance de ces tergiversations. Elles ont découragé ceux d’entre eux qui désiraient se rapprocher des Alliés et particulièrement-de la France; elles ont au contraire, donné un regain de force à nos pires adversaires, fourni des aliments à leur irritation et favorisé leurs intrigues.

S’il nous était possible de nous arrêter aujourd’hui quelques instants à l’examen des autres questions orientales, nous retrouverions en Arménie, en Cilicie, en Syrie, des fluctuations semblables et nous verrions, à certaines heures, le général Gouraud découragé par les décisions qu’on lui signifie et sur lesquelles il n’a même pas toujours été consulté. Ce n’est, d’ailleurs, pas aux hommes que nous