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comment finit la guerre.

point de ne plus concevoir la guerre que comme une lutte d’usure dont il était chimérique d’attendre la fin par la victoire des armes. Mais en 1913 la victoire se bornait à avoir fait disparaître dans le dernier règlement (Instruction sur la conduite des grandes unités) non seulement l’idée, mais même le mot de défensive. Erreur plus grave encore, le règlement du 3 décembre 1913 prescrivait à l’attaque une allure précipitée, qu’elle doit être en état de prendre pour tenter une surprise ou pour profiter d’un désarroi ou d’une faute de l’ennemi, mais qu’on ne peut ériger en règle générale ; il formulait : « L’artillerie ne prépare plus les attaques, elle les appuie. » Dans le dessein excellent de faire pénétrer l’idée juste de l’offensive dans tous les rangs de l’armée, le dogmatisme avait systématisé nos règlements et s’étendait à des prescriptions formelles qui, pour éviter tout prétexte à retard, allaient jusqu’à supprimer toute préparation ; les armes nouvelles : fusil à répétition et à trajectoire très tendue, mitrailleuse, canon de campagne à tir rapide, artillerie lourde, dont les effets étaient encore mal connus, auraient vraiment dû inspirer un peu de prudence, à tout le moins dans la prise de contact.

Il faut ajouter qu’en France comme en Allemagne on croyait à la guerre courte, toute de mouvement, et qu’on voulait empêcher l’adversaire de se fixer et le bousculer avant qu’il n’eût le temps d’organiser des positions défensives. Les financiers et les économistes étaient presque tous d’accord pour penser que le monde civilisé ne pourrait supporter plus de quelques mois le fardeau jusqu’alors inouï d’une guerre qui serait extrêmement coûteuse en argent et en richesses de toute nature, et qui lui enlèverait la grande majorité de ses producteurs ; l’interdépendance des nations multiplierait les ruines par répercussion et interviendrait certainement très vite pour arrêter les hostilités ; de très rares clairvoyants étaient seuls à affirmer qu’une nation trouve toujours de l’argent pour faire la guerre, et que bien heureusement aucun gouvernement issu de la volonté populaire ne serait en état de traiter avant que le sort des armes n’eût décidé de la victoire, quelles que fussent les ruines économiques et financières dont l’effet pèserait sur l’avenir plus que sur le présent. Pour la France en particulier, l’entente avec l’Angleterre lui assurait la maîtrise de la mer et, au point de vue économique, une incontestable supériorité de