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Si, sous prétexte de valoriser plus rapidement notre titre, on en détermine le montant à vue de nez, sans avoir sous les yeux de sérieuses évaluations administratives et judiciaires, nous pouvons être sûrs que la plus grande partie de nos dommages restera éternellement à découvert. La reconstruction française n’est-elle donc pas aussi nécessaire à l’Europe et au monde que la restauration de l’Allemagne ? Nous ne nous présentons pas à nos Alliés et aux neutres comme une nation endettée qui cherche à sortir d’embarras ; nous ne nous présentons même pas comme une nation blessée qui réclame les réparations promises ; nous ne sommes pas condamnés à des démarches timides et à un langage humilié. Nous ne demandons l’aumône à personne ; nous voulons simplement notre dû ; et en même temps, nous avons le droit de dire au monde que l’intérêt universel commande notre rapide et total relèvement. Pense-t-on que les dévastations commises par l’Allemagne dans le Nord et l’Est de la France ne soient pas une des causes principales du malaise général ?

Cette solidarité économique dont on parle tant, laisse-t-elle donc notre nation en dehors du système européen ? Et si, par exemple, nos départements ravagés n’avaient pas cessé de produire vingt millions de quintaux de blé, serions-nous dans la nécessité d’aller faire concurrence, sur divers marchés du globe, aux autres pays acheteurs et de prélever, sur un tonnage raréfié, les moyens de transporter les céréales dont nous avons besoin ? Si nos mines du Nord et du Pas-de-Calais n’avaient pas été systématiquement inondées, sur les indications même du Syndicat de la Ruhr, par les armées allemandes, serions-nous contraints de faire venir aujourd’hui de la Ruhr le charbon que l’Allemagne voudrait utiliser dans ses usines ou exporter chez d’autres voisins ? Et, si des centaines de mille hommes, au lieu de pouvoir employer leur activité à créer de la richesse nouvelle, sont, pendant plusieurs années encore, réduits à vivre dans l’exil ou obligés de relever leurs maisons ruinées, de remettre leurs manufactures en action, de défricher des champs devenus incultes, et, pendant tout le cours de ce douloureux travail, forcés de vivre en partie sur des ressources importées, n’est-ce point encore là une cause de trouble général et une fatalité dont les pays les plus lointains subissent le contre-coup ? Ce n’est pas pour la France une consolation de penser qu’après s’être sacrifiée pour l’humanité, elle n’est pas seule à souffrir et que son mal fait le mal de tous. Mais il semble que la justice immanente ait voulu qu’il en fût ainsi, pour qu’aucun