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Si nous cherchons à établir le bilan de cette année 1916, nous constatons d’abord que pour prévenir l’offensive générale de l’Entente, l’armée allemande attaquait Verdun en février et l’armée austro-hongroise le Trentin en mai. Pour prévenir la même offensive en 1917, le commandement allemand ne trouve d’autre précaution qu’un vaste repli abandonnant aux armées anglo-françaises un terrain étendu préalablement dévasté.

L’échec des attaques contre Verdun et l’usure qui résulte de l’offensive sur la Somme détermine à la fin d’août le changement dans le commandement allemand : au général de Falkenhayn succèdent le maréchal Hindenburg et le général Ludendorff. Leur premier soin est d’arrêter l’offensive contre Verdun au commencement de septembre ; ils décident en même temps de soutenir l’armée austro-hongroise qui cède devant l’avance des Roumains en Transylvanie. Mais cette résolution a été prise au pied levé, sous la pression immédiate des événements. Ludendorff, qui est le cerveau des deux Dioscures, le directeur de la raison sociale Hindenburg-Ludendorff, nous dit qu’il n’eût jamais osé pareille entreprise, s’il eût connu la situation réelle du front occidental. Et pourtant, le fait qu’on l’appelait au commandement effectif aurait pu lui ouvrir les yeux : « La situation sur le front Ouest était tendue à un point que je n’aurais pas imaginé, dit-il, mais je ne vis pas du premier coup d’œil toute sa gravité. La résolution importante de retirer du front Ouest, engagé dans de si rudes combats, plus de divisions encore et de les envoyer à l’Est, pour y rétablir la situation par une offensive et porter à la Roumanie un coup décisif, eût été trop difficile à prendre. » C’est seulement à Cambrai, pendant une conférence qui s’ouvre le 7 septembre, qu’il commence à comprendre la situation et l’abîme qui sépare le front français du front russe où il vient de diriger les opérations pendant deux ans : il faut s’arrêter sur ce passage de ses Souvenirs de guerre et constater une fois de plus la difficulté extrême pour le commandement de reconstituer, à travers le papier, la réalité des faits. « L’image que je m’étais faite de ce qui se passait à Verdun et sur la Somme prit à mes yeux des couleurs plus sombres après ce que j’eus à entendre. » Et il comprend la puissance matérielle de l’attaque. Il ne faut pas