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On commença par 60 000 agriculteurs avant la bataille d’avril ; puis les demandes se multiplièrent : 210 000 hommes et 135 000 autres furent mis en sursis ou libérés. C’étaient là 405 000 hommes perdus pour l’armée. Assurément, ce désarmement partiel correspondait à un besoin très réel, mais n’était-il pas possible d’y satisfaire sans cette mesure ? Nos ennemis n’avaient ni main-d’œuvre coloniale, ni main-d’œuvre étrangère ; ils souffraient réellement de la famine, et pourtant aucun agriculteur n’avait été rendu à la terre, qui, nous l’avons constaté dans les provinces rhénanes et en Alsace-Lorraine, était encore mieux cultivée qu’avant la guerre.

Il est bien difficile de s’arrêter sur cette pente, quand on s’y est engagé, et, vers le milieu de l’année 1917, il faut constater une diminution de toutes les énergies, qui s’explique par bien des causes. Un spécialiste averti, M. Pierre Boutroux, affirme à ce propos dans la Revue de Paris du 15 août 1919 : « On peut dire que jamais nos effectifs n’avaient subi un pareil assaut. »

Au commencement d’avril, le général Nivelle prenait acte de ces mesures de démobilisation pour insister sur la nécessité de hâter l’offensive : « Prenons garde aussi que si nous retardons l’opération, nous risquons, en raison du nombre de sursis et de projets de démobilisation de certaines classes, de ne plus disposer, à l’arrière-front, de la main-d’œuvre dont nous avons besoin pour assurer les services sans lesquels aucune grande opération n’est possible. » Aucun procès-verbal n’a été tenu pendant la réunion de Compiègne du 6 avril, mais le général Nivelle y a lu une note qui subsiste et fait foi ; devant les membres du gouvernement, le général en chef a dit : « Il s’agit en somme de savoir si nous voulons livrer la bataille de 1917, car la preuve que dans deux mois la situation sera plus favorable est difficile à faire. Les troupes seront détendues moralement, la démobilisation aura décuplé ses ravages… » Le ministre de la Guerre lisait cette correspondance, écoutait cette lecture, qui dégagent la responsabilité du commandement.

On décida donc de mettre en sursis les classes 1888 et 1889 en entier, et aussi les agriculteurs des classes 1890 et 1891 ; des spécialistes de toute espèce réclamèrent à leur tour et obtinrent satisfaction ; un nouveau vide se creusa, dépassant 300 000 hommes. Pour limiter le gouffre, il a fallu le scandale