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lit de roses et je me rappelle qu’au moment de l’armistice, un de nos hommes d’Etat les plus illustres m’écrivait : « Maintenant que tout péril est passé... » Tout péril n’était pas passé; et, en tout cas, mille sortes de difficultés allaient commencer : difficultés économiques, financières, sociales, inévitables au lendemain de secousses aussi terribles, de pertes aussi lourdes et de sacrifices aussi douloureux. Il s’agissait, en outre, de faire la paix et, la paix une fois faite, de la maintenir. Sous la pression du danger, les Alliés étaient restés unis devant l’ennemi et avaient même, quoique tardivement, confié à un général français le commandement en chef de leurs armées. Dans une conférence de diplomates, et surtout dans une conférence d’hommes politiques, l’unité de conduite était moins facile à établir. Tous venaient là, fatalement, avec leurs passions débridées et, dans le silence du canon, les intérêts, les ambitions, les vanités, allaient être plus libres de mener leur train. Chacune des nations, oubliant un peu que la victoire était fille, de leur union, avait tendance à s’exagérer le rôle qu’elle avait joué. Plusieurs d’entre elles étaient, en outre, tentées de réclamer la plus large part du profit. Seule, l’Amérique ne demandait rien. Mais son chef avait des conceptions spéciales, parfois un peu théoriques, sur l’avenir de l’Europe et elle-même entendait bien que sa rentrée dans le vieux monde ouvrirait ultérieurement, des deux côtés de la barricade, quelques marchés à ses commerçants et à ses financiers. De tout cela est sortie, comme on pouvait s’y attendre, une paix qui a laissé des déceptions chez les vainqueurs et de l’aigreur chez les vaincus.

Ce n’est cependant pas être trop Français que de dire que, parmi les premiers, d’autres ont été mieux traités que les Français ; et nous avions le droit d’espérer, non seulement que nos amis ne nous chicaneraient pas après coup sur ce qui nous était accordé, mais qu’ils nous aideraient à l’obtenir. Après avoir perdu quatorze cent mille hommes, dépensé des centaines de milliards, vu détruire nos villes et nos villages, quelles compensations positives avons-nous reçues des divers traités de paix? L’Alsace et la Lorraine nous ont été rendues, et c’est pour nous un bonheur indicible ; mais l’Alsace et la Lorraine nous appartenaient, et une restitution n’est pas une réparation. Nous sommes devenus propriétaires des mines de la Sarre, mais nous pouvons être forcés de les rétrocéder à l’Allemagne dans quinze ans, si les Sarrois ne votent, pas le rattachement de leur pays à la France. La partie des colonies allemandes qui nous est attribuée au Cameroun et au Togo n’est rien en comparaison des territoires que