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de vingt autres, il en faisait le point de départ de méditations destinées à s’ordonner et à se simplifier de plus en plus dans sa vaste intelligence. Enfin, il se tourna de lui-même vers les hautes mathématiques ; et là aussi il se sentit devenir inventeur, lorsqu’à Paris, avec l’aide et les conseils pour ainsi dire quotidiens de Huygens, il put arriver à lire et à comprendre les manuscrits mathématiques de Pascal et la géométrie de Descartes. Voilà trois larges routes qu’il sut s’ouvrir et parcourir sans que l’Université de Leipzig et son excellent professeur aient rien fait pour l’y engager. On peut même dire que si, à partir de 1663, les petites prxæationes révèlent un esprit un peu plus hardi, un peu plus dédaigneux de la scolastique, il est fort possible que le maître ait pris insensiblement leçon de son élève. Mais les avenues qui mènent à cette grande philosophie leibnizienne ou font pénétrer dans l’intérieur de ce système sont nombreuses. L’étude que nous venons de faire ne contribue-t-elle pas à expliquer bien des choses ?

D’abord, si Leibniz sut si bien profiter du commerce de Platon, d’Aristote et de St-Thomas, c’est que de bonne heure il les connut, c’est qu’on lui en fit étudier les doctrines d’un point de vue que j’appellerai désintéressé, sans prétendre l’asservir à aucun d’eux. Dans les écoles de la Renaissance, on injuriait Aristote pour adorer Platon, ou bien l’on substituait au fanatisme de l’un et de l’autre celui des Alexandrins. Avec Thomasius, on l’a vu, il ne s’agissait plus de jurer sur les paroles de celui-ci ou de celui-là, de se rendre enthousiaste de l’un pour mépriser et par conséquent ignorer l’autre. Loin de là. Sa méthode était beaucoup plutôt de les comparer entre eux ; il s’appliquait, il est vrai, à marquer les différences, tandis que son disciple, plus ouvert, cherche plutôt à concilier. Mais qui ne sait qu’une fois la comparaison commencée ; peu importe qu’elle ait débuté par l’étude des différences ou par l’étude des ressemblances : tôt ou tard, l’une des deux appelle l’autre, qui la complète. Thomasius n’enseigna donc pas, si l’on veut, l’éclectisme à Leibniz, mais on peut dire, je crois, qu’il l’y prépara.

À côté de cette action, il est une influence que Leibniz ne put pas ne pas subir, parce qu’elle émanait de l’Université de Leipzig tout entière, ou plutôt de l’ensemble des universités allemandes du temps, et que Thomasius ne fut ici que l’interprète plus particulièrement écouté d’une tradition puissante. Leibniz fut habitué de très-bonne heure à tenir en toutes choses le plus grand compte de la religion chrétienne et de son dogme. Il avait déjà vingt-quatre ans (et l’on sait ce qu’est un Leibniz à cet âge), qu’il associait tous ses rêves d’encyclopédie à un projet d’apologétique chrétienne. « Optem