Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, IV.djvu/68

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aux autres êtres. Si on admet l’arbitre en nous, pourquoi le restreindre à nous ? si, là où il n’y a plus de motif assez fort pour nous déterminer fatalement à telle action, on suppose encore une volonté assez puissante pour s’y porter d’elle-même, et si on ne veut pas voir là de contradiction, on ne devra pas en voir davantage dans le mouvement sans cause extérieure et apparente des vivants atomes. Comment le grand monde qui nous entoure ne serait-il qu’un vaste et inflexible mécanisme, si on prétend que notre petit monde est une source vive de volonté et de mouvement ?

Par cette habile position du problème, Épicure espère enlever à sa solution ce qu’elle paraissait d’abord avoir de contradictoire et d’absurde : l’absurdité, s’il y en a une, est transportée dans la conception du libre-arbitre. Étant données d’une part l’apparente nécessité de tous les phénomènes, d’autre part l’apparente liberté du vouloir et du mouvoir, il est impossible d’éviter le conflit entre ces deux puissances contraires ; il faut accepter l’une et rejeter l’autre ; or, à en croire Épicure et Lucrèce, le choix n’est pas douteux, puisque l’une, nous la sentons, et que l’autre, nous la conjecturons.

Placés dans cette alternative, les contemporains d’Épicure essayèrent pourtant de s’y soustraire. On trouve dans le De fato de Cicéron un passage intéressant à ce sujet. Selon Cicéron, Carnéade disait que les Épicuriens auraient pu défendre leur thèse contre le déterminisme stoïcien sans avoir recours à la déclinaison. « Car, puisqu’ils enseignaient qu’il peut exister un certain mouvement volontaire de l’âme, il eût été mieux de défendre ce point, que d’introduire la déclinaison, dont ils ne peuvent précisément trouver de cause ; en défendant ce principe, ils pourraient facilement résister à Chrysippe. » Carnéade blâme ici les Épicuriens d’avoir transporté le problème de la liberté dans l’univers, au lieu de le restreindre à l’homme : ils pouvaient, selon lui, soutenir que l’homme est libre sans placer pour cela la liberté de mouvement dans l’atome : ils eussent dû dire que l’atome et l’homme se meuvent tous deux en vertu de leur nature propre, sans cause extérieure et antécédente, et substituer ainsi la nature à la nécessité ou à la liberté. « Accorder qu’il n’y a point de mouvement sans cause, ce ne serait pas accorder que tout se fait par des causes antécédentes, car notre volonté n’a pas de causes extérieures et antécédentes. Nous usons donc du langage vulgaire en disant que nous voulons une chose ou ne la voulons pas sans cause, car par ces mots nous entendons : sans une cause extérieure et antécédente », non sans une cause quelconque. De même que, quand nous disons qu’un vase est vide, nous ne parlons pas comme