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REVUE PHILOSOPHIQUE

qu’il y a finalité partout, reconnaissent qu’elle se manifeste davantage dans le règne animal et végétal que dans le règne minéral ; et si l’on était réduit à celui-ci, et que l’homme s’oubliât lui-même, l’idée de finalité ne se présenterait peut-être pas à l’esprit. On voit par là combien la finalité diffère de la causalité : celle-ci est un principe ; celle-là n’est vraisemblablement que la conséquence d’une induction.

Un philosophe contemporain pense, comme Jouffroy, que le principe de finalité a la même évidence que celui de causalité ; il résume à la fois l’un et l’autre dans une seule et même formule : « Tout ce qui arrive, dit-il, ne vient pas seulement de quelque part, mais va aussi quelque part[1]. » Cette proposition sans doute est incontestable ; seulement, en tant qu’elle est évidente, elle n’implique pas nécessairement la finalité ; et réciproquement, en tant qu’elle serait entendue dans le sens de la finalité, elle ne serait plus évidente. Il est certain qu’un corps en mouvement va quelque part : mais le terme de ce mouvement est-il un résultat ou un but ? C’est là la question. Est-ce comme poussé ou comme attiré que ce corps va quelque part ? ou, s’il est poussé, est-ce par un autre corps, ou par une volonté qui a un but ? Tout cela reste en suspens ; c’est là précisément le problème. « Nous concevons comme nécessaire, dit le même auteur, que la cause renferme avec la raison du commencement la raison de la fin où tend la direction. » Rien n’est plus vrai encore que cette proposition ; mais on peut l’entendre aussi bien dans le sens de Spinosa que dans le sens d’Aristote ; il reste toujours à savoir si le terme de la direction est contenu dans la cause comme une conséquence ou comme un but ; si c’est un développement logique, ou une préordination voulue ? Et dire que la direction tend vers une fin, c’est supposer ce qui est en question.

Nous admettons pour notre part, avec Aristote que « la nature ne fait rien en vain, » avec Jouffroy que « tout être a un but, » avec M. Ravaisson « que tout mouvement va quelque part. » Mais, ce ne sont là, à nos yeux, que des vérités inductives, des généralisations de l’expérience. Voyant, en effet, dans certains cas déterminés, des rapports de moyens et de fins très-évidents, ou qui nous paraissent tels, nous passons par extension à d’autres qui le sont moins, et de là à tous les faits de la nature, en vertu de notre tendance naturelle à généraliser. C’est ainsi qu’Aristote a formé la maxime : οὐδὲν μάτην ; l’histoire naturelle lui ayant montré un nombre considérable de faits

  1. Ravaisson, Rapport sur la philosophie du XIXe siècle, p. 230. — Ce principe semble traduit de Plotin : « παντὶ τῷ κινουμένῳ δεῖ τι εἶναι, πρὸς ὃ κινεῖται. » (Ennéade v. I, 6.)