Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome I, 1876.djvu/40

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
32
REVUE PHILOSOPHIQUE

sachant pas d’avance que toute chose a une fin, comment pouvons-nous savoir en particulier que telle chose est une fin ? À quel signe reconnaissons-nous que quelque chose est une fin ? S’il y a un principe des causes finales, ce n’est donc pas celui qui consiste à dire qu’il y a des fins, mais celui qui nous apprendrait à quoi se reconnaît une fin, et comment un but se distingue d’un résultat. Voilà le vrai problème. Affirmer un but, c’est affirmer une certaine espèce de cause : à quelles conditions sommes-nous autorisés à affirmer ce genre de cause plutôt qu’un autre ? C’est ce qu’il faut chercher ; l’affirmation à priori de la finalité est un piège de la raison paresseuse (ignava ratio). Le problème est plus délicat, et exige de plus lentes recherches. Il sera l’objet de ce traité.

Avant d’aborder ce problème dans les termes que nous venons de poser, signalons encore, pour en montrer l’insuffisance, et pour déterminer avec précision le sens de la question, quelques formules que l’on a données du principe de finalité.

Voici, par exemple, comment Reid expose et formule le principe des causes finales : « Les marques évidentes de l’intelligence et du dessein dans l’effet prouvent un dessein et une intelligence dans la cause. » Il est facile de voir que ce n’est pas là un principe premier, mais une conséquence du principe de causalité : c’est une application particulière de cet axiome scolastique : « Tout ce qui est contenu dans l’effet, est contenu dans la cause, » principe qui lui-même n’est pas à l’abri de toute difficulté. D’ailleurs, le principe de Reid est exprimé sous une forme que l’on pourrait accuser de tautologie : car, s’il y a dans l’effet des marques d’intelligence, il va de soi que c’est l’effet d’une intelligence ; mais ceux qui nient la conséquence nient précisément que ces marques dont on conclut l’intelligence soient des marques d’intelligence : et c’est ce qu’il s’agit d’établir.

Mais l’observation la plus importante à faire sur le principe de Reid, c’est que l’affirmation de l’intelligence n’est qu’un corollaire du principe des causes finales, mais n’est pas ce principe lui-même. Quand j’aurai établi qu’il y a des buts dans la nature, je pourrai en conclure que la nature a une cause intelligente (encore est-il des philosophes comme Aristote, Hégel et Schopenhauer qui séparent la finalité de l’intelligence), mais la vraie question est de savoir s’il y a des buts, et en quoi consistent ces marques de dessein, qui nous autoriseront à conclure d’abord à la finalité dans la nature, et ensuite à une cause intelligente de cette finalité. Toutes ces vues si distinctes, et qu’il est nécessaire cependant de démêler, sont confondues dans l’axiome de Reid.