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P. JANET. — LES CAUSES FINALES

lorsque cette théorie a commencé à se faire jour vers la fin du XVIIIe siècle, un célèbre astronome du temps, Nicolas Fuss, la repoussait en s’appuyant sur le principe des causes finales : « À quoi bon, disait-il, des révolutions de corps lumineux autour de leurs semblables ? Le soleil est la source unique où les planètes puisent la lumière et la chaleur. Là où il y aurait des systèmes entiers de soleils maîtrisés par d’autres soleils, leur voisinage et leurs mouvements seraient sans but, leurs rayons sans utilité. Les soleils n’ont pas besoin d’emprunter à des corps étrangers ce qu’ils ont reçu eux-mêmes en partage. Si les étoiles secondaires sont des corps lumineux, quel est le but de leurs mouvements ? » À cette question de Nicolas Fuss, il est facile de répondre que nous ne savons pas quel est ce but ; mais si le fait est démontré par l’expérience comme il l’est en réalité, nous devons l’admettre comme fait, quel qu’en soit le but, et sans même chercher s’il y en a un. De pareilles aberrations donnent trop beau jeu aux adversaires des causes finales ; et Arago, en nous rapportant ces paroles d’un astronome trop cause-finalier (ce qui est rare), a pu dire avec cette satisfaction un peu hautaine du savant qui a trouvé en faute la métaphysique : « Voilà ce qu’on regardait comme de profondes objections en 1780. Eh bien ! ces choses qui ne semblaient bonnes à rien, qui paraissaient sans but, sans utilité existent réellement, et ont pris place parmi les plus belles et les plus incontestables vérités de l’astronomie ! » Il faut conclure, avec le même savant, que le principe cui bono n’a aucune autorité dans les sciences positives, et ne peut servir d’argument contre la vérité d’un fait ou d’une loi.

Signalons un autre exemple de la même illusion. Quoique la théorie du mouvement de la terre ait surtout rencontré à son origine des préjugés théologiques, elle a eu aussi à combattre ce préjugé philosophique, que l’homme est la cause finale de toutes choses, le centre et le but de la création. Prenant pour accordé que tout a été fait pour l’homme, on était amené par là à donner à la terre une place privilégiée dans l’univers, et il semblait naturel que la créature qui était la fin de toutes choses, habitât le centre du monde. Faire descendre la terre de ce haut rang à l’humble destinée d’un satellite du soleil, c’était, croyait-on, mettre en péril l’excellence et la majesté de la nature humaine, et jeter un voile sur la grandeur de ses destinées : comme si la grandeur de l’homme pouvait consister à habiter un centre immobile plutôt qu’une planète mobile, comme s’il importait à sa destinée que les étoiles eussent été faites pour tourner autour de lui, et lui donner un spectacle divertissant : comme si enfin, découvrir le vrai système du monde n’était pas une