Page:Rodenbach - Bruges-la-Morte, Flammarion.djvu/193

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— D’ailleurs, j’en ai assez de vivre ici ! Je vais partir.

Hugues, tandis qu’elle parlait, l’avait regardée. Dans la clarté de la lampe, il revit son clair visage, ses prunelles noires, ses cheveux d’un or faux et teint, faux comme son cœur et son amour ! Non ! ce n’était plus là la figure de la morte ; mais, frémissante en ce peignoir où sa gorge haletait, c’était bien la femme qu’il avait étreinte ; et, quand il l’entendit s’écrier : « Je vais partir ! » toute son âme chavira, se retourna vers un infini d’ombre…

À cette solennelle minute, il sentit qu’après les illusions du mirage et de la ressemblance, il l’avait aimée aussi avec ses sens — passion tardive, triste octobre qu’enfièvre un hasard de roses remontantes !

Toutes ses idées lui tourbillonnaient dans la tête ; il ne sut plus qu’une chose : il souffrait, il avait mal, et il ne souffrirait plus si Jane ne menaçait pas de partir. Telle qu’elle était, il la voulait encore.