Page:Rodenbach - Bruges-la-Morte, Flammarion.djvu/51

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brouillé ses yeux. Puis, toute proche et noire, la tache de la silhouette qui allait passer contre lui.

La femme avait remarqué son trouble sans doute, car elle regarda de son côté, l’air étonné. Ah ! ce regard récupéré, sorti du néant ! Ce regard qu’il n’avait jamais cru revoir, qu’il imaginait délayé dans la terre, il le sentait maintenant sur lui, posé et doux, refleuri, recaressant. Regard venu de si loin, ressuscité de la tombe, et qui était comme celui que Lazare a dû avoir pour Jésus.

Hugues se trouva sans force, tout l’être attiré, entraîné dans le sillage de cette apparition. La morte était là devant lui ; elle cheminait ; elle s’en allait. Il fallait marcher derrière elle, s’approcher, la regarder, boire ses yeux retrouvés, rallumer sa vie à ses cheveux qui étaient de la lumière. Il fallait la suivre, sans discuter, simplement, jusqu’au bout de la ville et jusqu’au bout du monde.

Il n’avait pas raisonné ; mais, machi-