Page:Rodenbach - Bruges-la-Morte, Flammarion.djvu/70

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contenta du mensonge consolant de son visage. Il cherchait dans ce visage la figure de la morte. Pendant de longues minutes, il la regardait, avec une joie douloureuse, emmagasinant ses lèvres, ses cheveux, son teint, les décalquant au fil de ses yeux stagnants… Élan, extase du puits qu’on croyait mort et où s’enchâsse une présence. L’eau n’est plus nue ; le miroir vit !

Pour s’illusionner aussi avec sa voix, il baissait parfois les paupières, il l’écoutait parler, il buvait ce son, presque identique à s’y méprendre, sauf par instant un peu de sourdine, un peu d’ouate sur les mots. C’était comme si l’ancienne eût parlé derrière une tenture.

Pourtant, de cette première apparition sur la scène, un souvenir troublant persistait : il avait entrevu ses bras nus, sa gorge, la ligne souple du dos et se les imaginait aujourd’hui dans la robe close.

Une curiosité de chair s’infiltra.