Page:Rodin - L’Art, 1911, éd. Gsell.djvu/204

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s’empêcher de regretter qu’une si puissante figure soit incomplète. L’on déplore les cruelles amputations qu’elle a subies.

Comme je témoignais, malgré moi, ce sentiment devant mon hôte :


— Quel reproche me faites-vous ? me dit-il avec quelque étonnement. C’est à dessein, croyez-le, que j’ai laissé ma statue dans cet état. Elle représente la Méditation. Voilà pourquoi elle n’a ni bras pour agir, ni jambes pour marcher. N’avez-vous point noté, en effet, que la réflexion, quand elle est poussée très loin, suggère des arguments si plausibles pour les déterminations les plus opposées qu’elle conseille l’inertie ?


Ces quelques mots suffirent à me faire revenir sur ma première impression, et j’admirai dès lors, sans réserve, le hautain symbolisme de l’image que j’avais devant les yeux.

Cette femme, je le comprenais maintenant, était l’emblème de l’intelligence humaine impérieusement sollicitée par des problèmes qu’elle ne peut résoudre, hantée par l’idéal qu’elle ne peut réaliser, obsédée par l’infini qu’elle ne peut étreindre. La contraction