Page:Rodin - L’Art, 1911, éd. Gsell.djvu/255

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Dans toutes vos statues, c’est le même élan de l’esprit vers le rêve, malgré la pesanteur et la lâcheté de la chair.

Dans votre Saint Jean-Baptiste, un organisme lourd et presque grossier est tendu et comme soulevé par une mission divine qui dépasse tous les horizons terrestres. Dans vos Bourgeois de Calais, l’âme éprise d’une immortalité sublime traîne au supplice le corps hésitant et paraît lui crier la fameuse parole : Tu trembles, carcasse ! Dans votre Penseur, la méditation, qui veut en vain embrasser l’absolu, contracte, sous son terrible effort, un corps athlétique, le ploie, le met en boule, l’écrase. Dans votre Baiser même, les corps frémissent anxieusement comme s’ils se sentaient d’avance incapables de réaliser l’indissoluble union désirée par les âmes. Dans votre Balzac, le génie, hanté par de gigantesques visions, secoue comme un haillon le corps malade, le contraint à l’insomnie et le condamne à un labeur de forçat.

Est-ce bien cela, maître ?


— Je ne dis pas non, fit Rodin qui caressait pensivement sa longue barbe.


— Et dans vos bustes plus encore peut-être vous