Page:Rodin - L’Art, 1911, éd. Gsell.djvu/299

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nous faudrait quelque bon rendez-vous de cochers.

Alors Despiau :

— L’on y mange mieux en effet que dans des maisons somptueuses ou les mets sont sophistiqués. Et telle est bien la secrète pensée de Bourdelle : car la feinte modestie de ses goûts n’est en réalité que de la gourmandise.

Rodin conciliant se laissa mener par eux chez un petit traiteur, qui se dissimulait dans une rue proche des Champs-Élysées. Nous y choisîmes un coin confortable, où nous nous installâmes à notre convenance.

Despiau est d’humeur enjouée et taquine. Il dit à Bourdelle, en lui passant un plat :

— Sers-toi, Bourdelle, bien que tu ne mérites pas d’être nourri, car tu es un artiste, c’est-à-dire un inutile.

— Je te pardonne cette impertinence, dit Bourdelle, car tu en prends pour toi-même la moitié.

Sans doute traversait-il une crise momentanée de pessimisme, car il ajouta :

— D’ailleurs je ne veux pas te contredire. Il est bien vrai que nous ne sommes bons à rien.

Quand je me rappelle mon père, qui était scieur de long, je me dis : Celui-là faisait une besogne