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modèles se rhabillaient derrière des paravents, je m’entretins avec le maître de sa méthode artistique.

— Ce qui m’étonne chez vous, lui dis-je, c’est que vous agissez tout autrement que vos confrères. Je connais beaucoup d’entre eux et je les ai vus au travail. Ils font monter le modèle sur le piédestal qu’on nomme la table et ils lui commandent de prendre telle ou telle pose. Le plus souvent même ils lui plient ou lui allongent les bras et les jambes à leur guise, ils lui inclinent ou lui redressent le torse et la tête suivant leur désir, tout à fait comme s’il s’agissait d’un mannequin articulé. Puis ils se mettent à la besogne.

Vous, au contraire, vous attendez que vos modèles prennent une attitude intéressante, pour la reproduire. Si bien que c’est vous qui paraissez être à leurs ordres plutôt qu’eux aux vôtres.

Rodin, qui était en train d’envelopper ses figurines de linges mouillés, me répondit doucement :


— Je ne suis pas à leurs ordres, mais à ceux de la Nature.

Mes confrères ont sans doute leurs raisons pour travailler comme vous venez de le dire. Mais, en violentant ainsi la Nature, et en traitant des créa-