Page:Roland à Roncevaux.djvu/24

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pairs, afin qu’il les appelle ; puis, pour lui-même, il prie l’ange Gabriel. Il prend l’olifant, pour que personne ne lui fasse reproche, et Durendal, son épée, en l’autre main. Un peu plus loin qu’une portée d’arbalète, vers l’Espagne, il va, dans un guéret. Il monte sur un tertre. Là, sous un bel arbre, il y a quatre perrons, faits de marbre. Sur l’herbe verte, il est tombé à la renverse. Il se pâme, car sa mort approche.

« Hauts sont les monts, hauts sont les arbres. Il y a là quatre perrons, faits de marbre, qui luisent. Sur l’herbe verte, le comte Roland se pâme. Or un Sarrasin le guette, qui a contrefait le mort et gît parmi les autres, ayant souillé son corps et son visage de sang. Il se redresse debout, accourt. Il était beau et fort, et de grande vaillance ; en son orgueil il fait la folie dont il mourra : il se saisit de Roland, de son corps et de ses armes, et dit une parole : "Il est vaincu, le neveu de Charles ! Cette épée, je l’emporterai en Arabie !" Comme il tirait, le comte reprit un peu ses sens.

« Roland sent qu’il lui prend son épée. Il ouvre les yeux, et lui dit un mot : "Tu n’es pas des nôtres, que je sache !" Il tenait l’olifant, qu’il n’a pas voulu perdre. Il l’en frappe sur son heaume gemmé, paré d’or ; il brise l’acier, et le crâne, et les os, lui fait jaillir du chef les deux yeux et, devant ses pieds, le renverse mort. Après il lui dit : "Païen, fils de serf, comment fus-tu si osé que de te saisir de moi, soit à droit, soit à tort ? Nul ne l’entendra dire qui ne te tienne pour un fou ! Voilà fendu le pavillon de mon olifant ; l’or en est tombé, et le cristal. »

« Roland sent que sa vue se perd. Il se met sur pieds, tant qu’il peut s’évertue. Son visage a perdu sa couleur. Devant lui est une pierre bise. Il y frappe dix coups, plein de deuil et de rancœur. L’acier grince, il ne se brise ni ne s’ébrèche. "Ah ! dit le comte, sainte Marie, à mon aide ! Ah ! Durendal, bonne Durendal, c’est pitié de vous ! Puisque je meurs, je n’ai plus cure de vous. Par vous j’ai gagné en rase campagne tant de batailles, et par vous dompté tant de larges terres, que Charles tient, qui a la barbe chenue ! Ne venez jamais aux mains d’un homme qui puisse fuir devant un autre ! Un bon vassal vous a longtemps tenue : il n’y aura jamais votre pareille en France la Sainte."