Page:Rosny - La Guerre du feu.djvu/176

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battre et la peur de faire broyer le Fils du Peuplier, il poussa un soupir rauque et regarda. L’Homme-au-Poil-Bleu avait soulevé le Nomade : il grinçait des dents, il le balançait, prêt à l’écraser contre un tronc d’arbre… Soudain, son geste s’arrêta. Il regarda le corps inerte, puis le visage. Ne percevant aucune résistance, ses mâchoires farouches se détendirent, une vague douceur passa dans ses yeux fauves ; il déposa Nam sur le sol.

Si le jeune homme avait fait un mouvement de défense ou même d’effroi, la main terrible l’aurait ressaisi. Il en eut l’instinct, il demeura immobile…

La horde entière, mâles, femelles et petits, était venue. Tous reconnaissaient confusément en Nam une structure analogue à la leur. Pour des Nains Rouges ou des Oulhamr, ç’aurait été un motif plus fort de tuerie. Mais leur âme était très obscure ; ils ne connaissaient pas la guerre ; ils ne mangeaient pas de chair et vivaient sans traditions. L’instinct les irritait contre les fauves qui emportent les jeunes ou dévorent les blessés, parfois une rivalité exaspérait les mâles, mais ils ne tuaient pas les bêtes qui se nourrissent d’herbe.

Devant le Nomade, ils demeuraient pleins d’incertitude. Son immobilité les apaisait et la douceur brusque du grand mâle. Car il était celui à qui les autres mâles ne résistaient plus depuis bien des saisons, qui les menait à travers la forêt, choisissant les routes ou les haltes, faisant reculer les lions.

Pour n’avoir pas encore mordu ou frappé, tous devenaient moins capables de le faire. Bientôt, l’image du combat s’effaçant dans leurs cerveaux, la vie de Nam fut sauve. Elle ne serait plus menacée que si lui-même faisait le geste d’attaquer ou de se défendre. Il aurait pu maintenant les suivre, sans qu’ils s’en inquiétassent, peut-être vivre à côté d’eux.