Page:Rosny - La Guerre du feu.djvu/191

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la vitesse, la vigilance, le flair aigu, la prudence, les ressources innombrables de ceux qu’elle doit atteindre. Cette terre, où sa race a presque disparu, est moins tiède et plus pauvre ; elle y vit d’un effort épuisant. Toujours, la faim ronge son ventre. À peine si elle s’accouple encore ; les terroirs où la proie suffit à un couple sont devenus plus rares, même là-bas, vers le soleil, ou dans les vallées chaudes. Et le survivant qui rôde dans le pays du grand marécage ne laissera point de descendance.

Malgré la hauteur et l’escarpement du roc, Naoh sent ses entrailles tordues. Il s’assure que le feu défend l’étroit accès, il saisit la massue et le harpon ; Nam et Gaw aussi sont prêts à combattre ; tous trois, tapis contre le roc, sont invisibles.

Le Lion-Tigre s’est arrêté ; ramassé sur ses pattes musculeuses, il considère cette haute clarté qui trouble les ténèbres comme un crépuscule. Il ne la confond pas avec la lueur du jour et moins encore avec cette lumière froide qui le gêne à l’embuscade. Confusément, il revoit des flammes dévorant la savane, un arbre brûlé par la foudre, ou même les feux de l’homme, qu’il a parfois frôlés, il y a longtemps, dans les territoires d’où l’ont successivement exilé la famine, la crue des eaux ou leur retraite qui rend l’existence impossible. Il hésite, il gronde, sa queue fouette furieusement, puis il s’avance et flaire les effluves. Ils sont faibles, car ils s’élèvent puis s’éparpillent avant de redescendre ; la petite brise les porte vers la rivière. Il sent à peine la fumée, moins encore la chair rôtie, pas du tout l’odeur des hommes ; il ne voit rien que ces lueurs bondissantes, dont les éclairs rouges et jaunes croissent, décroissent, se déploient en cônes, coulent en nappes, se mêlent dans l’ombre soudaine des fumées. La mémoire d’aucune proie ne s’y associe ni d’aucun geste de combat ; et la brute, saisie d’une crainte cha-