Page:Rosny - La Guerre du feu.djvu/23

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— Aghoo est venu à la lumière avant le fils du Léopard. Il choisira sa route. S’il va vers les Deux-Fleuves, Naoh tournera les marais, au Soleil couchant… et s’il tourne les marais, Naoh ira vers les Deux-Fleuves.

— Aghoo ne connaît pas encore sa route ! protesta le Velu. Il cherche le Feu ; il peut aller le matin vers le fleuve, le soir vers le marécage. Le chasseur qui suit le sanglier sait-il où il le tuera ?

— Aghoo changera de route plus tard, intervint Goûn, que soutinrent les murmures de la horde. Il ne peut à la fois partir pour le Soleil couchant et pour les Deux-Fleuves. Qu’il choisisse !

Dans son âme obscure, le fils de l’Aurochs comprit qu’il aurait tort, non de braver le chef, mais d’éveiller la défiance de Naoh. Il s’écria, tournant son regard de loup sur la foule :

— Aghoo partira vers le Soleil couchant !

Et faisant un signe brusque à ses frères, il se mit en route le long du marécage.

Naoh ne se décida pas aussi vite. Il désirait sentir encore dans ses yeux l’image de Gammla. Elle se tenait sous un frêne, derrière le groupe du chef, de Goûn et des vieillards. Naoh s’avança ; il la vit immobile, le visage tourné vers la savane. Elle avait jeté dans sa chevelure des fleurs sagittaires et un nymphéa couleur de lune ; une lueur semblait sourdre de sa peau, plus vive que celle des fleuves frais et de la chair verte des arbres.

Naoh respira l’ardeur de vivre, le désir inquiet et inextinguible, le vœu redoutable qui refait les bêtes et les plantes. Son cœur s’enfla si fort qu’il en étouffait, plein de tendresse et de colère ; tous ceux qui le séparaient de Gammla parurent aussi détestables que les fils du Mammouth ou les Dévoreurs d’Hommes.

Il éleva son bras armé de la hache et dit :