Page:Rosny - La Guerre du feu.djvu/59

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leurs dents jetaient des lueurs d’écume, tandis que leurs pattes fines rasaient le sol, avec un petit bruit frissonnant, ou se roidissaient dans l’attente : le désir de se repaître devenait insupportable. Mais, sachant que, derrière le basalte, gîtaient des êtres astucieux et solides, qui ne succomberaient que par surprise, ils cessèrent leur rôderie. Agglomérés en conseil de chasse, ils échangèrent des rumeurs et des gestes, plusieurs assis sur leur train arrière, la gueule en attente, certains agités, s’entre-frottant les échines. Les vieux appelaient l’attention, surtout un grand loup au pelage blême, aux dents d’ocre : on l’écoutait, on le regardait, on le flairait avec déférence.

Naoh ne doutait pas qu’ils eussent un langage : ils s’entendent pour dresser des embuscades, cerner la proie, se relayer pendant les poursuites, partager le butin. Il les considérait avec curiosité, comme il eût considéré des hommes, il cherchait à deviner leur projet.

Une troupe passa la rivière à la nage ; les autres s’éparpillèrent sous le couvert. On n’entendit plus que les hyènes acharnées sur le cadavre du tigre.

La lune, moins vaste et plus lumineuse, alanguissait les étoiles ; les plus faibles demeuraient invisibles, les brillantes semblaient mal allumées et comme noyées sous une onde ; une torpeur équivoque couvrait la forêt et la savane. Parfois une effraie sillonnait l’atmosphère bleue, extraordinairement silencieuse sur ses ailes d’ouate, parfois les raines clapotaient en bandes, posées sur les feuilles des nymphéas ou hissées sur les ragots ; les noctuelles, s’élançant en courses tremblotantes, se heurtaient à quelque chauve-souris soubresautant à travers les pénombres.

Enfin, des hurlements retentirent. Ils se répondaient le long de la rivière et dans les profondeurs des fourrés ; Naoh sut que les loups avaient cerné une proie. Il n’at-