Page:Rosny - La Guerre du feu.djvu/61

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aux flancs de la fugitive ; d’autres enfoncèrent leurs dents tranchantes. Désespérément, elle rua ; un loup, la mâchoire rompue, roula parmi les herbes ; mais la gorge de l’hémione s’ouvrit, ses flancs s’empourprèrent, deux jarrets claquèrent au choc des canines ; il s’abattit sous une grappe de gueules qui le dévoraient vivant.

Quelque temps, Naoh contempla ce corps d’où jaillissaient encore des souffles, des plaintes, la révolte contre la mort. Avec des grondements de joie, les loups happaient la chair tiède et buvaient le sang chaud ; la vie entrait sans arrêt dans les ventres insatiables. Parfois, avec inquiétude, quelque vieux se tournait vers la troupe des hyènes : elles eussent préféré cette proie plus tendre et moins vénéneuse, mais elles savaient que les bêtes timides deviennent braves pour défendre ce qu’elles doivent à leur effort ; elles n’avaient pas ignoré la poursuite de l’hémione et la victoire des loups. Elles se résignèrent à la dure carcasse du tigre.

La lune fut à mi-route au zénith. Naoh s’étant assoupi, Gaw avait pris la veille ; on entrevoyait confusément la rivière coulant dans le vaste silence. Le trouble revint ; les futaies rugirent, les arbustes craquèrent, les loups et les hyènes levèrent tous ensemble leurs gueules sanglantes, et Gaw, avançant sa tête dans l’ombre des pierres, darda son ouïe, sa vue et son flair… Un cri d’agonie, un grondement bref, puis des branches s’écartèrent. Le lion géant sortit de la forêt, avec un daim aux mâchoires. Près de lui, humble encore, mais déjà familière, la tigresse se coulait comme un gigantesque reptile. Tous deux s’avancèrent vers le refuge des hommes.

Saisi de crainte, Gaw toucha l’épaule de Naoh. Les Nomades épièrent longtemps les deux fauves : le lion-tigre déchirait la proie d’un geste continu et large, la tigresse avait des incertitudes, des peurs subites, des