Page:Rostand - Cyrano de Bergerac.djvu/46

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Un piège de nature, une rose muscade
Dans laquelle l’amour se tient en embuscade !
Qui connaît son sourire a connu le parfait.
Elle fait de la grâce avec rien, elle fait
Tenir tout le divin dans un geste quelconque,
Et tu ne saurais pas, Vénus, monter en conque,
Ni toi, Diane, marcher dans les grands bois fleuris,
Comme elle monte en chaise et marche dans Paris !…

Le bret.

Sapristi ! Je comprends. C’est clair !

Cyrano.

Sapristi ! Je comprends. C’est clair ! C’est diaphane.

Le bret.

Magdeleine Robin, ta cousine ?

Cyrano.

Magdeleine Robin, ta cousine ! Oui, — Roxane.

Le bret.

Eh bien ! mais c’est au mieux ! Tu l’aimes ? Dis-le-lui !
Tu t’es couvert de gloire à ses yeux aujourd’hui !

Cyrano.

Regarde-moi, mon cher, et dis quelle espérance
Pourrait bien me laisser cette protubérance !
Oh ! je ne me fais pas d’illusion ! — Parbleu,
Oui, quelquefois, je m’attendris, dans le soir bleu ;
J’entre en quelque jardin où l’heure se parfume ;
Avec mon pauvre grand diable de nez je hume
L’avril, — je suis des yeux, sous un rayon d’argent,
Au bras d’un cavalier, quelque femme, en songeant
Que pour marcher, à petits pas, dans de la lune,
Aussi moi j’aimerais au bras en avoir une,
Je m’exalte, j’oublie… et j’aperçois soudain
L’ombre de mon profil sur le mur du jardin !

Le bret, ému.

Mon ami !…

Cyrano.

Mon ami !…Mon ami, j’ai de mauvaises heures !
De me sentir si laid, parfois, tout seul…