Page:Rostand - Discours de réception, 1903.djvu/17

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les gloires étaient là, un pauvre petit poète, tout bouleversé, se cachait dans les coins, fuyait les groupes fameux, finissait par se réfugier dans une embrasure où le venait rejoindre, gentiment apitoyée, la fille du maître, Adèle, qui, le matin même, avait fait sa première communion. Elle avait encore son adorable robe. Elle accapara l’invité timide, lui fit des confidences, lui montra ses médailles, ses images ; ils s’entendirent à merveille ; et tandis que Théophile Gautier et Paul de Saint-Victor étincelaient, ils étaient heureux tous les deux, et riaient ensemble. Car M. de Bornier avait gardé, dans toute sa blancheur digne de frayer avec des voiles de première communiante, son âme de nuit de Noël.

C’est qu’il avait été élevé par des femmes : par sa mère, par deux tantes exquises ; et il n’avait eu que des sœurs. Son père, gentilhomme bourru, inspirait un respect sans tendresse. Peut-être serez-vous un peu surpris d’apprendre que le père de M. de Bornier était un géant. Ce soldat-jardinier, qui excellait à dessiner un parc, semble avoir été moins orgueilleux de ses arbres mêmes que d’un arbre généalogique cramponné de toutes ses racines à la plus vieille roche languedocienne. Dès 1305, un Bornier signe des actes à Aymargues. En 1643, la famille est anoblie. Parmi les ancêtres légendaires du poète, j’aime assez voir le bon saint Roch qui, sans doute, pour récompenser la Comédie-Française d’avoir toujours été, à Paris, la meilleure paroissienne de son église, poussa vers elle le dernier de ses neveux avec un beau manuscrit dans les mains. — En 93, Étienne de Borner émigre. Il est chargé par quelques royalistes de porter, en Pologne, au futur Louis XVIII, le produit d’une collecte de diamants.