Page:Rostand - Discours de réception, 1903.djvu/19

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fort et Bornier se rencontrèrent sur le Pont-Royal ; ils allèrent bras dessus, bras dessous s’engager aux gardes du corps ; et n’ayant plus que le temps à tuer, ils firent ensemble des vaudevilles. Les fils, depuis, se sont peut-être rencontrés. Ils n’ont pas collaboré.

En 1830, Eugène de Bornier rentre à Lunel. Tout en rimant des couplets, l’actif gentilhomme s’était ruiné pour la cause de la duchesse de Berry, s’était marié avec une demoiselle de Vibrac, et avait eu quatre enfants : un poète, et trois filles. — Le poète commença par être un orateur. Dans la cour des Frères des écoles chrétiennes, les petits s’attroupaient autour de lui en criant : « Eh ! zou ! Henriquet ! prêcha ! zou !… » Et Henriquet, montant en chaire dans un arbre, prêchait. « Cet enfant sera un évêque ! » s’écria la famille. Et on le mit au petit séminaire de Versailles, puis au petit séminaire de Montpellier, puis au petit séminaire de Saint-Pons. Il grandit, pas beaucoup ; une tiédeur lui vint pour l’épiscopat ; il écrivit des vers ; il en envoya à Victor Hugo. La réponse fut formidable, et promit l’avenir. On avait d’ailleurs l’imprudence, au séminaire, de représenter des pièces de théâtre dans le réfectoire. Bornier fit jouer une comédie qui lui valut une chaise à l’Académie du collège. Il était perdu.

Son père et sa mère meurent. Trois sœurs sanglotent en s’appuyant sur lui. La maison paternelle est vendue pour un morceau de pain. Il faut quitter Lunel, confier les orphelines à des parents. Elles s’accrochent à lui, les sœurettes ! Ah ! ce n’est pas facile de dégrafer les chères mains qui retiennent la pauvre redingote ! Mais il s’agit d’être un brave petit pêcheur de lune, et d’aller pêcher la lune à Paris, dans la Seine ! Et le voilà qui, accoudé