Page:Rostand - Discours de réception, 1903.djvu/26

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

souviens d’un billet où il écrivait, à propos d’une de ces trahisons courantes dont sa candeur demeurait stupéfaite : « Je suis tombé de mon haut : il est vrai que ce n’est pas beaucoup ! » ; c’est parce que je sais avec quelle malicieuse bonhomie ce second père de Charlemagne s’amusait d’avoir tout juste la stature du premier, que je me permets de m’attendrir sur cette belle disproportion entre l’homme et l’œuvre qui aurait pu faire croire, quand Henri de Bornier sortait de chez son ami Victor Hugo, à l’évasion d’une antithèse devenue vivante. Tous ceux qui ont vraiment aimé cet homme délicieux ont dû respecter et chérir cette auguste exiguïté de forme sans laquelle on ne sait s’il aurait eu ce sentiment de la grandeur qui fit de lui un poète, et qui fut, peut-être, une nostalgie. Nous apercevons pourquoi il contracta l’habitude de ne jamais perdre, moralement, un pouce de sa taille. Quand son âme de paladin s’aperçut qu’elle ne pouvait, en lui, se lever de toute sa hauteur, elle recourut à la seule façon qu’elle eût de se loger à sa mesure : elle s’en fut habiter en des héros. Et voilà comment M. de Bornier devint poète dramatique.

Il n’aimait que les grandes choses. Jamais il ne daigna soupçonner le danger qu’il peut y avoir à être sublime, ni s’attarder aux réflexions qui diminuent l’élan. Il eut, du vrai poète, le courage candide et jovial à qui rien ne semble ridicule comme la peur du ridicule, et que les sourires font rire. Tranquille Petit Poucet, il entra dans la partie de la Forêt où se tiennent les géants. Il vit luire quelque chose dans l’herbe ; il s’agenouilla, pensant que cette lueur était une source ; et il s’aperçut que c’était Durandal qui dormait. Il la prit à