Page:Rostand - Discours de réception, 1903.djvu/27

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la garde, la dressa, la planta dans le sol ; et comme, debout, elle était plus haute que lui, il décida immédiatement qu’il allait la faire tourner au-dessus de sa tête. Il se peut qu’à ce moment il y ait eu, dans la Forêt, des murmures de feuilles, des sifflotis d’oiseaux : il ne s’en douta même pas, tout occupé à faire son examen de conscience et à se demander, non pas s’il avait les bras assez forts, mais s’il avait les mains assez pures. Dès qu’il les sentit dignes du pommeau plein de reliques, il ne raisonna pas, il ne discourut pas, il ne promulgua pas de règles sur la façon dont il convient d’empoigner les épées de héros ; il n’expliqua pas aux arbres attentifs comment il fallait et comment il allait s’y prendre pour soulever Durandal : il la souleva. Oh ! ce ne fut pas sans un effort très noblement visible ; il y eut un gonflement de veines à son cou et une rougeur à son front qui ajoutèrent une sorte de beauté loyale à la bravoure du geste, qui attestèrent qu’il ne s’agissait pas d’un léger glaive de théâtre. Mais sur le visage d’un bon poète les gouttes de sueur peuvent être aussi splendides que des larmes ! Toute la Forêt regarda : et il fit tourner l’épée de Roland. Que dis-je, l’épée de Roland ? Comme il s’aperçut que l’épée de Charlemagne, ne sentant plus sa sœur auprès d’elle, jaillissait du sol, pris d’une sorte de folie méridionale, il saisit Joyeuse de sa main restée libre, et le brave petit ambidextre, entrechoquant les deux épées, les fit tournoyer avec tant de tintements et d’éclairs que le plus olympien des géants de la Forêt, celui à qui seul semblait réservé le maniement de telles armes, abaissa ses yeux vers lui en murmurant : « Tiens ! tiens ! tiens !… » Puis M. de Bornier laissa retomber Joyeuse et Duran-