Page:Rostand - Discours de réception, 1903.djvu/28

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dal ; mais on devait toujours se souvenir qu’il avait eu, au-dessus de sa tête, la grande auréole d’acier de ce moulinet héroïque.

La Fille de Roland fut refusée à la Comédie-Française en 1868. Édouard Thierry, dirigeant à la fois la Comédie et l’Arsenal, n’avait pu souffrir l’idée d’être obligé de respecter, au théâtre, les volontés de celui qui était, à la bibliothèque, son subordonné. Psychologie administrative. Bornier, sentant toute l’inconvenance hiérarchique qu’il avait commise en faisant un chef-d’œuvre, réintégra précipitamment l’ombre du sous-bibliothécariat, d’où il ressortit, rose d’espoir, en apprenant l’avènement de M. Perrin. M. Perrin aima la pièce et le signifia dans un nasillement péremptoire. Son comité la reçut avec les plus grandes marques de méfiance. La mise en scène fut longue. La répétition générale fut vague. Un illustre auteur dramatique déclara que la scène du combat de Gérald ne passerait jamais. Un comédien, qui ne jouait pas dans la pièce, donna du cœur à ses camarades en pronostiquant trois représentations. Et le lendemain, messieurs…

Arrêtons-nous avec émotion à ce moment où M. de Bornier va cueillir la noble fleur de sa noble vie. Il a écrit l’œuvre qu’il méritait d’écrire. Tout le monde va l’applaudir : la foule, et Théodore de Banville. Admirons ce bonheur de la vertu ; aimons ce succès de l’âme ; tenons essentiellement à ce qu’avec un grand cœur poétique cet homme n’ait pas eu trop d’adresse, à ce que ce soit sa longue beauté morale qui lui ait tout d’un coup rendu possible d’écrire une œuvre belle.