Page:Rostand - Discours de réception, 1903.djvu/33

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Je n’en suis pas digne. Pour prononcer certaines paroles, il faut avoir accompli certains actes. Ce qu’était l’atmosphère d’alors… celui qui me fait l’honneur de nous recevoir vous le dira.

Je ne veux parler que de l’effet du drame. Toute la salle fut debout lorsqu’elle apprit que Gérald était vainqueur ! Oh ! lorsqu’à la plus frémissante minute de cette soirée de 1875 ils furent prononcés soudain, ces mots si tendres ; lorsqu’ils arrivèrent du fond du passé comme une consolante caresse des plus lointaines voix de la patrie, ces mots si simples qui ont dû se former au creux le plus chaud de l’âme populaire, d’où le vent des cantilènes les aura transportés dans la Chanson de Roland ; lorsqu’elle retentit brusquement, la vieille et chère expression : « Ô France ! Douce France ! »… il sembla à la France qu’elle s’entendait pour la première fois nommer depuis sa défaite, et elle fondit en larmes comme ces convalescents qui se sentent guéris en reconnaissant leur nom ! Tous ces fils assemblés à qui un frère pieux rapprenait cette ancienne et bonne façon de nommer leur mère poussèrent un cri ; et ils se regardaient, pâles de s’être souvenus tout d’un coup, tous ensemble, de la douceur de la France !… Ô merveilleux effet d’une pièce de théâtre ! Je me doute bien que des gens graves s’offusquent de l’importance quelquefois prise par un drame. Partisans de ces ouvrages discrets qui n’enlèvent le public qu’à une hauteur prévue par leurs lois, ils n’aiment pas beaucoup ces œuvres qui, en une soirée, donnent à un homme la gloire et rendent l’espérance à un pays. N’auraient-ils pas raison dans leurs méfiances ironiques ? Quoi ! parce qu’un sociétaire de la Comédie, affublé d’une perruque d’ail-