Page:Rostand - Discours de réception, 1903.djvu/35

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frappent les boucliers des portes en criant : « Patrie ! Patrie !… » Il est bon que de temps en temps un peuple réentende le son de son enthousiasme, car, à ce son, il peut connaître où moralement il en est. Nous surtout qui n’avons plus agora ni forum, comment les connaîtrons-nous les grands instants d’unanimité, les frémissements de forces impatientes ? Ce n’est plus guère qu’au théâtre que les âmes, côte à côte, peuvent se sentir les ailes.

Henri de Bornier en était convaincu. Je l’aime d’avoir adoré son art. À ce pieux esprit, les origines demeuraient présentes. Le Théâtre, divin palais de carton dont les cartonnages s’adossent aux pierres du mur que l’on voit encore à Orange, et dont la lumière vient de chandelles qui ont été autrefois des cierges, lui semblait être le palais officiel des héros dans ce pays de Légende qui est leur seconde patrie. Aucun fantôme ne lui paraissait trop considérable pour venir l’habiter : et après y avoir fait entrer Charlemagne, il trouva naturel d’y vouloir introduire saint Paul. Et quelques-uns s’en offusquèrent ; et on le dissuada de faire représenter l’Apôtre ; et sa gloire n’eût peut-être rien gagné à la représentation de cette pièce ; mais je suis heureux qu’il ait eu la pensée de l’écrire. Cet homme croyait à ce qu’il faisait. Tant pis pour ceux qui consentent à ce que l’art auquel ils ont voué leur vie ne soit pas digne de traiter certains sujets. Il y a des sujets qui sont trop beaux ? Il y a des sujets qui sont trop grands ? Qui a dit cela ? Ce n’est pas un poète ! Les pêcheurs de lune lancent leurs filets sans jamais désespérer de ramener l’astre. Quels que soient nos humbles travaux humains, n’admettons pas qu’en nous