Page:Rostand - Discours de réception, 1903.djvu/38

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Mahomet de M. de Bornier fut supprimé comme un simple Arménien.

Le poète alla se consoler dans sa gentilhommière. Car le château de famille avait mis à lui revenir autant de grâce qu’un château de comédie. Une vieille tante dévote qui longtemps avait boudé le transfuge des séminaires, s’étant aperçue un jour que la parenté d’un poète pouvait mêler aux dentelles d’un bonnet presque autant de rayons que la parenté d’un évêque, en laissa choir, de surprise, le nom d’Henri de Bornier sur son testament. Le rêveur prit distraitement possession d’un domaine inculte. Mais la bonne compagne qui veillait sur lui comme sur un enfant admiré, pendant qu’il était dans la nue, s’occupa des choses de la terre. Et lorsqu’il découvrit, un matin, qu’il n’avait eu qu’à rimer une tragédie pour que les vagues luzernes devinssent des vignobles précis, il se crut un grand viticulteur. Jamais il ne consentit à voir de ses vignes que les deux premiers rangs, pour cette raison, disait-il, « qu’après c’est toujours la même chose ! » Mais, convaincu qu’elles lui devaient leur prospérité, il en parlait sans cesse dans les termes les plus techniques ; et Mme de Bornier souriait en entendant ce cher usurpateur de sa gloire confondre imperturbablement la bouture, la crossette et le chevelu !

Cependant, malgré la vie plus claire et plus parfumée, et les vacances égrenées comme une grappe de muscat dans la maison blanche entourée de jasmins d’Espagne, Henri de Bornier languissait et brûlait. Il confessait que sur son cœur le thermomètre montait à Quarante. Chaque jour il mandait à d’illustres amis des nouvelles de sa flamme. J’ai lu ce roman épistolaire :