Page:Rostand - Discours de réception, 1903.djvu/41

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insulter, donnant le premier exemple d’une de ces situations d’infamie qui s’affermissent en durant parce que la boue durcit, bravant et bavant, polygraphe et pornographe, ruffian de tableaux et courtier de filles, cet Arétin si complet que les plus parfaits gredins de notre tout dernier bateau suivent encore le sillage de sa gondole : car il ne leur a rien laissé à trouver, ni la goujaterie historiée, ni les grâces stercoraires ; car il a tout inventé, depuis le système de faire crier ses articles dans la rue avec des titres sensationnels jusqu’à celui de toucher aux fonds secrets, depuis l’art de faire resservir les vieilles chroniques en les démarquant jusqu’à celui de ne jamais applaudir un homme que sur les joues d’un autre ! Il aurait fallu nous montrer Arétin, Arétin le Précurseur, haussant avec cynisme sa coupe d’or ciselée, somptueuse aïeule du pot-de-vin ! — Bornier a essayé, pendant un acte. Mais le cœur lui manque ; il suffoque ! Il prend un grand parti : au second acte l’Arétin est converti ; c’est un saint ; et Bornier respire ! — Heureusement, le drame reste fort, à cause de l’angoisse du poète lorsqu’il touche à ce fil mystérieux que les écrivains ne sentiront jamais assez trembler entre eux et leurs lecteurs lointains.

La peur du mal que peut faire un livre !… Elle alla toujours croissant chez l’excellent homme. Songez-y, et qu’il était bibliothécaire : vous l’imaginerez vivant comme un chimiste au milieu de fioles redoutables. Il n’est pas de peur plus généreuse que celle du poison moral. Encore faut-il s’entendre sur les toxiques. Ils peuvent changer selon les époques. M. de Bornier, en son chaste cœur, s’épouvantait beaucoup d’un poison qui a cessé d’être le plus terrible. Ici même, rappelant