Page:Rostand - Un soir à Hernani, 1902.djvu/37

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Quoi ! cet enfant, c’est lui par qui nous apprenons
Que tous ces voyageurs croyaient avoir des noms,
Et c’est lui l’éternel parmi ces éphémères !
Quoi ! c’est le grand Hugo, ce petit Victor !

Quoi ! c’est le grand Hugo, ce petit Victor ! Mères,
Qu’il y ait du respect parfois dans la douceur
Du baiser mis au front de votre enfant rêveur ;
Que vos lèvres, parfois, en écartant des boucles
Aient peur de se brûler à quelques escarboucles ;
Frissonnez au milieu d’un rire ; effrayez-vous
De prendre l’avenir, ainsi, sur vos genoux ;
Et dites-vous, avec une ivresse inquiète,
Lorsque vous saisissez une petite tête
Pour essayer de voir au fond des yeux gamins,
Que vous tenez peut-être un monde entre vos mains !
— Sait-on à quel moment au juste le dieu passe ?
Songez à la minute émouvante de grâce
Où, dans la vieille rue, au son d’un fandango
Que rythme un claquement de fouet, Madame Hugo
Sort du carrosse vert dont l’attelage souffle,
Et, prenant dans ses bras l’enfant qu’elle emmitoufle,
Distraite, d’une voix qui sommeille à demi,
Lui dit légèrement : « Tu vois, c’est Hernani. »



Aucun éclair n’a lui dans la ruelle noire ;
Nul n’a senti tomber cette graine de gloire ;
Et lui-même l’enfant n’est pas resté songeur.
On se bouscule, on crie, on jure ; un voyageur
Chante… Et le germe obscur descend au fond de l’âme.