Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/477

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Une autre chose contribue encore à éloigner du règne végétal l’attention des gens de goût ; c’est l’habitude de ne chercher dans les plantes que des drogues & des remèdes. Théophraste s’y étoit pris autrement, & l’on peut regarder ce philosophe comme le seul botaniste de l’antiquité aussi n’est-il presque point connu parmi nous ; mais grâce à un certain Dioscoride, grand compilateur de recettes, & à ses commentateurs la médecine s’est tellement emparée des plantes transformées en exemples qu’on n’y voit que ce qu’on n’y voit point, avoir les prétendues vertus qu’il plaît au tiers & au quart de leur attribuer. On ne conçoit pas que organisation végétale puisse par elle-même mériter quelque attention ; des gens qui passent leur vie arranger savamment des coquilles se moquent de la botanique comme d’une étude inutile quand on n’y joint pas, comme ils disent, celle des propriétés, c’est-à-dire quand on n’abandonne pas l’observation de la nature qui ne ment point & qui ne nous dit rien de tout cela, pour se livrer uniquement à l’autorité des hommes qui sont menteurs & qui affirment beaucoup de choses qu’il faut croire sur une parole, fondée elle-même le plus souvent sur l’autorité d’autrui. Arrêtez-vous dans une prairie émaillée à examiner successivement les fleurs dont elle brille, ceux qui vous verront faire, vous prenant pour un frater, vous demanderont des herbes pour guérir la rogne des enfans, la gale des hommes ou la morve des chevaux.

Ce dégoûtant préjugé est détruit en partie dans les autres pays & sur-tout en Angleterre grâce à Linnæus qui a un peu tiré la botanique des écoles de la pharmacie pour la rendre