Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t11.djvu/23

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je n’aurois rien fait d’injuste en lui donnant ici le personnage que toute si s’empresse de faire à mon égard. J’ai même eu l’attention de le ramener à des sentimens plus raisonnables que je n’en ai trouvé dans aucun de ses compatriotes, & celui que j’ai mis en scene est tel qu’il seroit aussi heureux pour moi qu’honorable à son pays qu’il s’y en trouvât beaucoup qui l’imitassent. Que si quelquefois je l’engagé en des raisonnemens absurdes, je proteste derechef en sincérité de cœur que c’est toujours malgré moi, & je crois pouvoir défier toute la France d’en trouver de plus solides pour autoriser les singulieres pratiques dont je suis l’objet & dont elle paroit se glorifier si fort.

Ce que j’avois à dire étoit si clair & j’en étois si pénétré que je ne puis assez m’étonner des longueurs des redites du verbiage & du désordre de cet écrit. Ce qui l’eût rendu vis & véhément sous la plume d’un autre est précisément ce qui l’a rendu tiede languissant sous la mienne. C’étoit de moi qu’il s’agissoit, & je n’ai plus trouvé pour mon propre intérêt ce zele & cette vigueur de courage qui ne peut exalter une ame généreuse que pour la cause d’autrui. Le rôle humiliant de ma propre défense est trop au-dessous de moi, trop peu digne des sentimens qui m’animent pour que j’aime à m’en charger. Ce n’est pas non plus, on le sentira bientôt, celui que j’ai voulu remplir ici. Mais je ne pouvois examiner la conduire du public à mon égard sans me contempler moi-même dans la position du monde la plus déplorable & la plus cruelle. Il faloit m’occuper d’idées tristes & déchirantes,