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LETTRE

À MONSIEUR

LE MARQUIS DE MIRABEAU.


Trye le 26 Juillet 1767.


J’aurois dû, Monsieur, vous écrire en recevant votre dernier billet : mais j’ai mieux aimé tarder quelques jours encore à réparer ma négligence, & pouvoir vous parler en même tems du livre [1] que vous m’avez envoyé. Dans l’impossibilité de le lire tout entier, j’ai choisi les chapitres où l’Auteur casse les vîtres, & qui m’ont paru les plus importans. Cette lecture m’a moins satisfait que je ne m’y attendois ; & je sens que les traces de mes vieilles idées, racornies dans mon cerveau, ne permettent plus à des idées si nouvelles d’y faire de fortes impressions. Je n’ai jamais pu bien entendre ce que c’étoit que cette évidence qui sert de base au Despotisme légal, & rien ne m’a paru moins évident que le chapitre qui traite de toutes ces évidences. Ceci ressemble assez au systême de l’Abbé de St. Pierre, qui prétendoit que la raison humaine alloit toujours en se perfectionnant, attendu que chaque siecle ajoute ses lumieres à celles des siecles précédens. Il ne voyoit pas que l’entendement humain n’a toujours qu’une même mesure & très-étroite, qu’il perd d’un côté tout autant qu’il gagne de l’autre, & que des préjugés toujours renaissans nous ôtent autant de lumieres acquises que la raison cultivée en peut remplacer. Il me semble que l’évidence ne peut jamais

  1. (*) L’ordre essentiel des Sociétés politiques.