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LETTRE À M. HUBER.

Montmorenci le 24 Décembre 1761.

J’étois, Monsieur, dans un accès du plus cruel des maux du corps, quand je reçus votre lettre & vos Idylles ; après avoir lu la lettre, j’ouvris machinalement le livre, comptant le refermer aussi-tôt ; mais je ne le refermai qu’après avoir tout lu, & je le mis à côté de moi pour le relire encore. Voilà l’exacte vérité. Je sens que votre ami Gessner est un homme selon mon cœur, d’où vous pouvez juger de son traducteur & de son ami par lequel seul il m’est connu. Je vous fais en particulier un gré infini d’avoir osé dépouiller notre langue de ce sot & précieux jargon, qui ôte toute vérité au images, & toute vie aux sentimens. Ceux qui veulent embellir & parer la nature, sont des gens sans ame & sans goût, qui n’ont jamais connu ses beautés. Il y a six ans que je coule dans ma retraite, une vie allez semblable à celle de Ménalque & d’Amyntas, au bien près, que j’aime comme eux, mais que je ne sais pas faire ; & je puis vous protester, Monsieur, que j’ai plus vécu durant ces six ans, que je n’avois fait dans tout le cours de ma vie. Maintenant vous me faites desirer de revoir encore un printems, pour faire avec vos charmans pasteurs de nouvelles promenades, pour partager avec eux ma solitude, & pour revoir avec eux des asyles champêtres qui