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LETTRE À M. ***.

Motiers Juillet 1762.

J’ai rempli ma mission, Monsieur, j’ai dit tout ce que j’avois à dire, je regarde ma carrière comme finie ; il ne me reste plus qu’à souffrir & mourir ; le lieu où cela doit se faire est assez indifférent. Il importoit peut-être que parmi tant d’Auteurs menteurs & lâches, il en existât un d’une autre espece qui osât dire aux homme’s les vérités utiles qui seroient leur bonheur s’ils savoient les écouter. Mais il n’importoit pas que cet homme ne fût point persécuté ; au contraire, on m’accuseroit peut-être d’avoir calomnié mon siecle, si mon histoire même n’en disoit plus que mes écrits ; & je suis presque obligé à mes contemporains de la peine qu’ils prennent à justifier mon mépris pour eux. On en lira mes écrits avec plus de confiance. On verra même, & j’en suis fâché, que j’ai souvent trop bien pensé des hommes. Quand je sortis de France, je voulus honorer de ma retraite l’Etat de l’Europe pour lequel j’avois le plus d’estime, & j’eus la simplicité de croire être remercié de ce choix. Je me suis trompé ; rien parlons plus. Vous vous imaginez bien que je ne suis pas, après cette épreuve, tenté de me croire ici plus solidement établi. Je veux rendre encore cet honneur à votre pays de penser que la sureté que je n’y ai pas trouvée, ne se trouvera pour moi nulle part. Ainsi, si vous voulez que nous nous voyons ici, venez tandis qu’on m’y lasse ; je serai charmé de vous embraser.