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LETTRE À MYLORD MARÉCHAL.

Le 19 Mars 1767.

C’en est donc fait, Mylord ; j’ai perdu pour jamais vos bonnes graces & votre amitié, sans qu’il me soit même possible de savoir & d’imaginer d’où me vient cette perte, n’ayant pas un sentiment dans mon cœur,, pas une action dans ma conduite qui n’ait dû, j’ose le dire, confirmer cette précieuse bienveillance que, selon vos promesses tant de fois réitérées, jamais rien ne pouvoit m’ôter. Je conçois aisément tout ce qu’on a pu faire auprès de vous pour me nuire ; je l’ai prévu, je vous en ai prévenu ; vous m’avez assuré qu’on ne réussiroit jamais, j’ai dû le croire. A-t-on réussi malgré tout cela, voilà ce qui me passe & comment a-t-on réussi au point que vous n’ayez pas même daigné me dire de quoi je suis coupable, ou du moins de quoi je suis accusé ? Si je suis coupable, pourquoi me taire mon crime, si je ne le suis pas, pourquoi me traiter en criminel ? En m’annonçant que vous cesserez de m’écrire, vous me faites entendre que vous n’ecrirez plus à personne. Cependant j’apprends que vous écrive à tout le monde, & que je suis le seul excepté, quoique vous sachiez dans quel tourment m’a jette votre silence. Mylord dans quelque erreur que vous puissiez être, si vous connoissiez, je ne dis pas mes sentimens, vous devez les connoître mais ma situation dont vous n’avez pas l’idée, votre humanité du moins vous parleroit pour moi.