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LETTRE À M. DU BELLOY.

À Monquin par Bourgoin, le 19 Février 1770.

Pauvres aveugles que nous sommes, !

Ciel ! démasque les imposteurs,

Et force leurs barbares cœurs

À s’ouvrir aux regards des hommes.

J’honorois vos talens, Monsieur, encore plus le digne usage que vous en faites, & j’admirois comment le même esprit patriotique nous avoit conduits par la même route à des destins si contraires : vous à l’acquisition d’une nouvelle patrie & à des honneurs distingués, moi à la perte de la mienne & à des opprobres inouis.

Vous m’avez ressemblé, dites-vous, par le malheur ; vous me feriez pleurer sur vous, si je pouvois vous en croire. Etes-vous seul en terre étrangere, isolé, séquestré, trompé, trahi, diffamé par tout ce qui vous environne, enlacé de trames horribles dont vous sentiez l’effet, sans pouvoir parvenir à les connoître, à les démêler ? Etes-vous à la merci de la puissance, de la ruse, de l’iniquité, réunies pour vous traîner dans la fange, pour élever autour de vous une impénétrable œuvre de ténébres, pour vous enfermer tout vivant dans un cercueil ? Si tel est ou fut votre sort, venez, gémissons ensemble ; mais en tout autre cas, ne vous vantez point de faire avec moi société de malheurs.

Je lisois votre Bayard, fier que vous eussiez trouvé mon