Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t15.djvu/41

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a l’envi en somptuosité pour plaire à un peuple qui pouvoit tout : les Censeurs crierent long-tems & se lasserent enfin de déplaire sans fruit : le fameux théâtre de Scaurus contenoit quatre-vingt mille personnes ; il étoit porté sur trois cent soixante colonnes : il avoit trois étages, dont le premier étoit de marbre ; ses colonnes avoient trente-huit pieds de hauteur, & étoient entremêlées de trois mille statues d’airain : ce prodigieux édifice étoit construit pour trois mois seulement, & fut détruit en effet au bout de ce tems : on élevoit des eaux de senteur au-dessus des portiques, & on les faisoit retomber en pluie par des tuyaux cachés. Dans une tragédie d’Andronicus appelle le Cheval de Troye, on voyoit passer sur le théâtre trois mille vases & toutes sortes d’armes d’infanterie & de cavalerie : Pompée, à la dédicace de son théâtre, fit combattre & périr cinq cents lions, six cents pantheres, & vingt éléphans : qu’est-ce que les sciences pouvoient avoir de commun avec cet appareil fastueux des dépouilles du monde !

Lorsque la corruption fut extrême, elle osa violer la majesté naturelle de la tragédie, & contre toute vraisemblance y porter l’obscénité ; enfin on s’entêta des pantomimes, Acteurs muets dont le talent consistoit à imiter les actions les plus infâmes : Pilade & Bathylle partagerent la ville & causerent des séditions : on finit par abandonner entièrement le goût des Lettres & des arts, qui n’avoient pu se prêter à l’excès de la licence.

Rome, à force de pauvreté & de vertu, conquit des richesses & des vices ; & sa science ne put la guérir ; Carthage