Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/74

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t’adore en dépit de moi-même. Comment mon cœur, qui n’a pu résister dans toute sa force, céderoit-il maintenant à demi ? Comment ce cœur, qui ne soit rien dissimuler, te cacheroit-il le reste de sa foiblesse ? Ah ! le premier pas, qui coûte le plus, étoit celui qu’il ne faloit pas faire ; comment m’arrêterois-je aux autres ? Non, de ce premier pas je me sens entraîner dans l’abyme, & tu peux me rendre aussi malheureuse qu’il te plaira.

Tel est l’état affreux où je me vois, que je ne puis plus avoir recours qu’à celui qui m’y a réduite, & que pour me garantir de ma perte, tu dois être mon unique défenseur contre toi. Je pouvois, je le sais, différer cet aveu de mon désespoir ; je pouvois quelque tems déguiser ma honte, & céder par degrés pour m’en imposer à moi-même. Vaine adresse qui pouvoit flatter mon amour-propre, & non pas sauver ma vertu ! Va, je vois trop, je sens trop où mene la premiere faute, & je ne cherchois pas à préparer ma ruine, mais à l’éviter.

Toutefois si tu n’es pas le dernier des hommes ; si quelque étincelle de vertu brilla dans ton ame ; s’il y reste encore quelque trace des sentimens d’honneur dont tu m’as paru pénétré, puis-je te croire assez vil pour abuser de l’aveu fatal que mon délire m’arrache ? Non, je te connois bien ; tu soutiendras ma foiblesse, tu deviendras ma sauve-garde, tu protégeras ma personne contre mon propre cœur. Tes vertus sont le dernier refuge de mon innocence ; mon honneur s’ose confier au tien, tu ne peux conserver l’un sans l’autre ; ame généreuse, ah ! conserve-les tous deux, & du