Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/55

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il obéit. Toutes les passions sensuelles logent dans des corps efféminés ; ils s’en irritent d’autant plus qu’ils peuvent moins les satisfaire.

Un corps débile affaiblit l’âme. De là l’empire de la médecine, art plus pernicieux aux hommes que tous les maux qu’il prétend guérir. Je ne sais, pour moi, de quelle maladie nous guérissent les médecins, mais je sais qu’ils nous en donnent de bien funestes : la lâcheté, la pusillanimité, la crédulité, la terreur de la mort : s’ils guérissent le corps, ils tuent le courage. Que nous importe qu’ils fassent marcher des cadavres ? ce sont des hommes qu’il nous faut, & l’on n’en voit point sortir de leurs mains.

La médecine est à la mode parmi nous ; elle doit l’être. C’est l’amusement des gens oisifs & désœuvrés, qui, ne sachant que faire de leur temps, le passent à se conserver. S’ils avoient eu le malheur de naître immortels, ils seroient les plus misérables des êtres : une vie qu’ils n’auroient jamais peur de perdre ne seroit pour eux d’aucun prix. Il faut a ces gens-là des médecins qui les menacent pour les flatter, & qui leur donnent chaque jour le seul plaisir dont ils soient susceptibles, celui de n’être pas morts. Je n’ai nul dessein de m’étendre ici sur la vanité de la médecine. Mon objet n’est que de la considérer par le côté moral. Je ne puis pourtant m’empêcher d’observer que les hommes font sur son usage les mêmes sophismes que sur la recherche de la vérité. Ils supposent toujours qu’en traitant un malade on le guérit, & qu’en cherchant une vérité on la trouve. Ils ne voient pas qu’il faut balancer l’avantage