Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/57

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les frayeurs qu’il nous donne. C’est la connaissance des dangers qui nous les fait craindre : celui qui se croiroit invulnérable n’auroit de rien. À force d’armer Achille contre le péril, le poète lui ôte le mérite de la valeur ; tout autre à sa place eût été un Achille au même prix.

Voulez-vous trouver des hommes d’un vrai courage, cherchez-les dans les lieux où il n’y a point de médecins, où l’on ignore les conséquences des maladies, & où l’on ne songe guère à la mort. Naturellement l’homme soit souffrir constamment et meurt en paix. Ce sont les médecins avec leurs ordonnances, les philosophes avec leurs préceptes, les prêtres avec leurs exhortations, qui l’avilissent de cœur et lui font désapprendre à mourir.

Qu’on me donne un élève qui n’ait pas besoin de tous ces gens-là, ou je le refuse. Je ne veux point que d’autres gâtent mon ouvrage ; je veux l’élever seul, ou ne m’en pas mêler. Le sage Locke, qui avoit passé une partie de sa vie à l’étude de la médecine, recommande fortement de ne jamais droguer les enfants, ni par précaution ni pour de légères incommodités. J’irai plus loin, & je déclare que, n’appelant jamais de médecins pour moi, je n’en appellerai jamais pour mon émile, à moins que sa vie ne soit dans un danger évident ; car alors il ne peut pas lui faire pis que de le tuer.

Je sais bien que le médecin ne manquera pas de tirer avantage de ce délai. Si l’enfant meurt, on l’aura appelé trop tard ; s’il réchappe, ce sera lui qui l’aura sauvé. Soit : que le médecin triomphe ; mais surtout qu’il ne soit appelé qu’à l’extrémité.