Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/87

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guériront pas sa colique. Cependant il se souviendra de ce qu’il faut rire pour être flatté ; & s’il soit une fois vous occuper de lui à sa volonté, le violà devenu votre maître : tout est perdu.

Moins contrariés dans leurs mouvements, les enfans pleureront moins ; moins importune de leurs pleurs, on se tourmentera pour les faire taire ; menaces ou flattés moins souvent, ils seront moins craintifs ou moins opiniâtres, & resteront mieux dans leur état naturel. C’est moins en laissant pleurer les enfans qu’en s’empressant pour les apaiser qu’on leur fait gagner des descentes ; & ma preuve est que les enfans les plus négligés y sont bien moins sujets que les autres. Je suis fort éloigné de vouloir pour cela qu’on les néglige ; au contraire, il importe qu’on les prévienne, & qu’on ne se laisse pas avertir de leurs besoins par leurs cris. Mais e ne veux pas non plus que les soins qu’on leur rend soient mal entendus. Pourquoi se feroient-ils faute de pleurer dès qu’ils voient que leurs pleurs sont bons à tant de choses ? Instruits du prix qu’on met à leur silence, ils se gardent bien de le prodiguer. Ils le font à la fin tellement valoir qu’on ne peut plus le payer ; & c’est alors qu’à force de pleurer sans succès ils s’efforcent, s’épuisent, et se tuent.

Les longs pleurs d’un enfant qui n’est ni lié ni malade, & qu’on ne laisse manquer de rien, ne sont que des pleurs d’habitude & d’obstination. Ils ne sont point l’ouvrage de la nature, mais de la nourrice, qui, pour n’en savoir endurer l’importunité, la multiplie, sans songer qu’en faisant taire l’enfant aujourd’hui on l’excite à pleurer demain davantage.