Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t8.djvu/452

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les élémens, régnoit dans ses productions. Dans ces tems reculés, où les révolutions étoient fréquentes, ou mille accidens changeoient la nature du sol & les aspects du terrain, tout croissoit confusément, arbres, légumes, arbrisseaux, herbages : nulle espèce n’avoit le tems de s’emparer du terrain qui lui convenoit le mieux & d’y étouffer les autres ; elles se séparoient lentement, peu à peu ; & puis un bouleversement survenoit qui confondoit tout.

Il y a un tel rapport entre les besoins de l’homme & les productions de la terre, qu’il suffit qu’elle soit peuplée, & tout subsiste : mais avant que les hommes réunis missent par leurs travaux communs une balance entre ses productions, il falloit pour qu’elles subsistassent toutes que la nature se chargeât seule de l’équilibre que la main des hommes conserve aujourd’hui ; elle maintenoit ou rétablissoit cet équilibre par des révolutions, comme ils le maintiennent ou rétablissent par leur inconstance. La guerre, qui ne régnoit pas encore entre eux, sembloit régner entre les élémens ; les hommes ne brûloient point de villes, ne creusoient point de mines, n’abattoient point d’arbres ; mais la nature allumoit des volcans, excitoient des tremblemens de terre, le feu du ciel consumoit des forêts. Un coup de foudre, un déluge, une exhalaison, faisoient alors en peu d’heures ce que cent mille bras d’hommes font aujourd’hui dans un siècle. Sans cela je ne vois pas comment le système eût pu subsister, & l’équilibre se maintenir. Dans les deux règnes organisés, les grandes espèces eussent, à la longue, absorbé les petites (*). Toute la terre n’eût bientôt été


On prétend que, par une sorte d’action et de réaction naturelle, les diverses espèces du règne animal se maintiendroient d’elles-mêmes dans